Par Françoise Fontaine-Martinelli, rédactrice invitée sur "Nouvelles Lectures".
Dans un
précédent billet sur le blog l'
Alambic Numérique,
j’ai essayé d’aborder la thématique de l’accessibilité numérique en
précisant qu’elle ne concernait pas uniquement le web. Aujourd’hui, je
souhaiterai me recentrer sur cette question de l’internet, en
particulier parce que nos sites ou nos portails documentaires sont un
moyen incontournable de diffusion (et donc d’accès) à l’ensemble de nos
services et qu’ils sont des sites de communication publics donc soumis à
l’obligation légale d’accessibilité.
Alors, oui, bien sûr, tous, bibliothécaires (du moins je l’espère),
nous sommes prêts à œuvrer pour l’accessibilité mais comment ? Par
quel(s) bout(s), prendre ces chantiers ? D’autant plus qu’aujourd’hui
nous ne partons plus de zéro, en tout cas, en bibliothèque
universitaire, les sites ou portails documentaires ont une histoire et
les équipes qui les ont conçues aussi. Très concrètement, que faire ?
La cible : à qui l’accessibilité d’un site profite-t-elle ?
C’est essentiel : ne jamais perdre de vue, pourquoi ou plutôt pour
qui il faut rendre nos sites accessibles. Pour Abdel, jeune homme
aveugle, qui ne peut avoir de vision d’ensemble de la page et a besoin
d’informations structurées. Il se retrouve, bloqué, sans plus savoir où
il en est de sa navigation, car sa plage braille ne lui renvoie plus
aucune information. Pour Céline, étudiante malvoyante en sciences
sociales, qui utilise une synthèse vocale (on dit aussi logiciel de
revue d’écran) et ne peut deviner que « l’image 456 » est un graphique
représentant l’évolution du taux de fécondité en France depuis 1965.
Mais aussi, pour Fatoumata, malentendante, qui doit venir faire ses
études en France et qui aimerait bien, que la vidéo qui présente la
bibliothèque soit sous-titrée. Cela lui éviterait de demander à son
père, sa mère ou sa soeur. Ou encore pour David, qui ne peut utiliser
une souris et aimerait pouvoir naviguer facilement grâce à son clavier
adapté.
La liste n’est évidemment pas close mais il ne faut jamais,
jamais, oublier les utilisateurs.
Le nerf de la guerre
Ensuite, se dire que le noyau dur de l’accessibilité des sites Web,
ce sont les spécifications techniques que contiennent les référentiels
et les éléments de programmation. Je ne suis pas informaticienne, et ma
culture informatique d’un point de vue technique est limitée mais je
pourrais veiller, dans un projet web, à ce que cette dimension soit
prise en considération à toutes les étapes du projet (création,
modifications marginales ou reconfiguration totale). Et c’est là tout
l’enjeu d’un site accessible : faire entrer la notion d’accessibilité à
toutes les étapes et dans tous les esprits. Il faut que quelqu’un s’en
charge très tôt.
Le web reste toujours une mine de documentation. Une série de fiches
synthétisent de manière très opérationnelle (et c’est leur grand
intérêt) les exigences d’accessibilité. En effet, le site
AcceDe Web propose
un ensemble de notices adaptées à la gestion de projet web. L’intérêt
de ces quatre notices est qu’elles ciblent, chacune, un professionnel
comme dans un jeu des 4 familles : dans la famille projet web, je
voudrais le graphiste, je voudrais le développeur, je voudrais le
contributeur et je voudrais le chef de projet. A chacun dans son domaine
de compétences d’intégrer cette dimension. Ce projet, coordonné par
Atalan, a été nommé aux Trophées de l’accessibilité 2013.
Les grands principes : à quoi reconnaît-on un site accessible ?
Revenons maintenant aux principes tels qu’ils sont exprimés dans les
référentiels. Le Référentiel Général de l’Accessibilité pour les
Administrations (RGAA), qui s’applique aux sites de communication
publics, reprend l’organisation du
WCAG 2.0, en 4 grands principes. Il est facile d’en prendre connaissance grâce à cette traduction en français assurée par Braillenet :
- Premier principe : il faut que les contenus soient perceptibles.
C’est à dire que « L’information et les composants de l’interface
utilisateur doivent être présentés à l’utilisateur de façon à ce qu’il
puisse les percevoir. » . Sous ce critère, on retrouve les alternatives
textuelles aux images, aux boutons graphiques, description textuelle
d’un graphique… ; captcha audio, structuration d’un document de
traitement de texte ou .pdf, alternatives à des contenus audios ou
vidéos (sous-titrage, audiodescription). Il s’agit également de séparer
le contenu de la présentation via l’utilisation de feuilles de style .
- Deuxième principe : Les « composants de l’interface utilisateur et de navigation ». doivent être utilisables.
Très concrètement, toutes les fonctionnalités doivent être accessibles
au clavier, des éléments d’orientation (pour naviguer, se situer dans le
site, s’orienter) doivent être présents. Un lecteur qui utilise une
synthèse vocale lit de manière séquentielle, chronologique. Il ne lui
est pas possible d’avoir une appréhension globale des informations. Des
éléments d’orientation doivent donc lui permettre de repérer la
hiérarchie des informations, pour aller directement à l’information qui
l’intéresse et éviter s’il le souhaite certaines informations. Il est
également important de laisser suffisamment de temps à l’utilisateur
pour lire le contenu et pour mener les actions nécessaires. Il est
également conseiller d’éviter les flashs (brusques changements de
luminosité à l’écran) susceptibles de déclencher des crises d’épilepsie
chez certains utilisateurs.
- Troisième principe : Les informations et l’utilisation de l’interface utilisateur doivent être compréhensibles.
Ainsi, par exemple, il est essentiel qu’un dispositif technique de
lecture sache si le texte est dans une langue étrangère (utilisation de
l’attribut lang) au risque de produire un texte incompréhensible type
yaourt. Faire en sorte que la structuration se répète afin de rendre la
navigation prévisible est également un point à prendre en compte.
- Quatrième principe : Le contenu doit être suffisamment robuste
pour être interprété de manière fiable par une large variété d’agents
utilisateurs, y compris les technologies d’assistance. Il faut donc
veiller à ce que les technologies d’assistance utilisent correctement
les contenus balisés en spécifiant la DTD utilisée.
Ce qui se joue, c’est une nécessaire prise en compte des questions
d’accessibilité par chacun des membres de l’équipe projet web, que ce
soit sur le plan de la conformité à la loi, des exigences techniques et
du service aux utilisateurs. Ainsi, parmi les membres de l’équipe du
Pôle, du Centre, de la Division, Direction, des Systèmes d’information
de l’Université et de la Bibliothèque, que sais-je, la présence de
développeurs et de webmestres formés aux questions d’accessibilité est
nécessaire. Sans eux, rien n’est possible.
Les labels : Comment certifier qu’un site est accessible ?
Les recommandations WCAG 2.0 se répartissent selon 3 niveaux :
- le niveau A : niveau fondamental satisfaisant tous les critères
d’accessibilité de priorité 1. Pour une conformité de niveau A (le
niveau minimal), la page Web satisfait à tous les critères de succès de
niveau A ou une version de remplacement est fournie. Par exemple, un
texte explique une vidéo ou une image.
- le niveau AA : niveau satisfaisant tous les critères d’accessibilité
de priorité 1 et 2. Le site offre un accès « correct » aux informations
contenues dans les documents Web. Par exemple, la possibilité de
recourir à l’agrandissement des textes sans perte d’information et sans
avoir recours à une technologie d’assistance.
- le niveau AAA : niveau satisfaisant tous les critères
d’accessibilité de priorité 1, 2 et 3. Le site offre un accès excellent
aux informations contenues dans les documents Web. Par exemple, une
description audio étendue met en pause la vidéo pour expliquer
l’ensemble des informations nécessaires à la compréhension de l’élément.
(les exemples sont tirés du guide “Un site web accessible pour ma collectivité“ réalisé par le Syndicat mixte e-mégalis Bretagne en 2012).
Le niveau recommandé au niveau européeen est le niveau AA et c’est
également le niveau de conformité que doivent atteindre les sites
publics français. Le niveau AAA ne peut s’appliquer dans tous les
contextes. La méthodologie qui accompagne le
RGAA
prévoit, lors de l’étape finale, la rédaction d’une attestation de
conformité, établie par l’éditeur du site lui-même. C’est le principe de
l’auto-évaluation.
Il est bien spécifié dans le décret n° 2009-546 du 14 mai 2009 que la
vérification de la conformité au RGAA est assurée par le ministère
chargé des personnes handicapées. Un dispositif de veille et de contrôle
devait être mis en place fin 2010. Mais je n’en ai pas trouvé trace …
S’il n’y a pas d’obligation de faire expertiser son site, en France, à ma connaissance, il existe deux labels :
Le label
Accessiweb,
décerné par l’association Braillenet, c’est un peu comme participer aux
Jeux Olympiques de l’accessibilité avec la possibilité de gagner l’or,
l’argent ou le bronze selon la performance de son site. On garde sa
médaille (euh, non, son label pour 2 ans) et ensuite, il faut
recommencer la démarche. Problème, nombre de sites n’ont pas renouvelé
la démarche et, dans la Galerie des sites labellisés, la mention « Ce
site n’a plus à ce jour le label Accessiweb » est fréquente. Aucun des
sites labellisés avant 2010 n’a réobtenu le label. Cela ne veut pas dire
que ces sites ne sont plus accessibles mais simplement qu’aucun audit
externe ne le valide. Le label Accessiweb (qui repose sur une liste de
95 critères AccessiWeb et une méthodologie d’évaluation). est payant,
ceci explique peut-être cela !
Il existe un autre label
e-accessibility,
valable 18 mois et qui propose également un label pour les documents
.pdf. Très franchement, vous étiez vous déjà posé la question de
l’accessibilité de tous ces documents en .pdf que vous déposiez sur
votre site ? Non, alors vite, lisez la fiche
AcceDE pdf . Problème : la médiathèque d’e-accessibility, rubrique site web labellisés propose … 3 sites. Maigres résultats.
Au niveau européen, le label
Euracert
est attribué à un site web, en complément du label déjà obtenu par un
organisme agréé dans son pays d’origine. A ma grande surprise, la
France, la Belgique et l’Espagne sont les seuls pays qui comptent un
organisme agréé. Trois ? Le chiffre clé d’une accessibilité déficiente ?
Alors labellisation, pas labellisation ? Ce qui semble poser problème
c’est que la labellisation est plutôt liée, pour les organisations qui
en font la démarche, à un effet marketing de court terme et ne prennent
pas en compte la volatilité et la reconfiguration permanente des
contenus. La règle devrait être : concevoir systématiquement des sites
web accessibles. On en est loin malgré l ‘obligation législative.
Les stratégies : à quel moment s’y prendre ?
Il faut intervenir très en amont, au moment de la phase de
conception, qu’elle porte sur une création de site ou sur une évolution.
Les
modalités
d’application du RGAA définissent clairement les différentes étapes.
Dans le cas où la création du site web fait l’objet d’un prestataire
extérieur, je vous recommande la lecture de la «
Recommandation sur l’accessibilité des sites web publics
» du Groupe d’études des marchés d’informatique et communications
électroniques qui dépend du Ministère de l’économie et des finances. Ce
document de 6 pages, daté d’avril 2012, est un outil précieux pour qui
doit lancer un appel d’offres puisqu’il détaille tous les points à
notifier : quelle est la méthodologie suivie par le prestataire pour
intégrer l’accessibilité aux choix techniques, quels seront pour chaque
livrable les paramètres d’accessibilité, quelles sont les compétences en
terme d’accessibilité de l’équipe du prestataire, en cas de reprise de
contenus, quelle sera la démarche suivie, quels contenus pourront être
rendus accessibles, quels seront les tests pratiqués, quelle sera la
forme de la restitution, quelle formation pour garantir dans la durée
l’accessibilité ? Il est d’autant plus précieux qu’il indique
explicitement que la politique d’accessibilité qui guidera le travail du
prestataire est de la responsabilité du maître d’ouvrage.
Il faut rappeler que l’accessibilité ne se vérifie pas à l’œil
nu.
L’expérience Avant/Après (type “Nouveau look pour une nouvelle vie” à la
sauce Web) se trouve sous un vilain nom
BAD
, pour Before and After Demonstration. Le consortium W3C a mis en
ligne deux versions d’un même site, l’une accessible et l’autre pas. En
cliquant sur Show annotations vous aurez, au fil du site, des
explications sur les erreurs commises. C’est en anglais, mais ça vaut le
coup.
Dans un projet Web, il est toujours intéressant de procéder à des
test utilisateurs. L’inaccessibilité se cache dans les détails. J’ai le
souvenir, d’un changement de catalogue d’une bibliothèque, pourtant
affiché accessible, (car cette exigence était spécifiée dans le cahier
des charges) et qui en réalité s’est révélé inutilisable par un lecteur
aveugle à cause d’une toute petite chose : dans l’interface graphique,
des flèches droite et gauche de navigation restaient sans équivalence
pour un logiciel de revue d’écran.
Alors prêts à se lancer dans l’aventure ? Réaliser un site accessible
est un itinéraire qu’il faut baliser très en amont. Ne perdez pas
patience, restez zen, ne vous trouvez pas
« 5 bonnes raisons de coller une droite à un expert accessibilité »
mais lisez plutôt le billet éponyme sur Accessiblog.fr. Soyez plutôt
sur le mode « Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage »,
persévérez car la mise en accessibilité n’est sans doute pas un long
fleuve tranquille mais c’est un flux nécessaire.
Billet initialement publié sur l'Alambic Numérique et reproduit avec l’aimable autorisation de son auteur.